Quand on ne sait plus à quel saint se vouer…

En ce mardi matin, la basilique Notre-Dame de la Garde a retrouvé tout son calme. Les festivités pascales ont cédé la place à la quiétude habituelle. Et puis c’est vrai qu’à 6h du mat, c’est rarement Broadway de toute façon…

Les quelques pèlerins matinaux sont éparpillés ça et là. Dans le recueillement, sur leur prie-Dieu, ils semblent avoir pris bien soin de s’installer à bonne distance les uns des autres.

On perçoit le murmure de leurs requêtes. Les silhouettes sont très différentes, les langues utilisées également, Marseille la cosmopolite a uni ces brebis égarées en cette matinée fraîche, légèrement ventée et passablement lugubre. Définitivement pas Broadway, je confirme.

Au premier rang, un colosse à l’italien guttural, mâtiné qu’il est par un accent ostensiblement slave, s’agite un peu et rempli le lieu d’un fond sonore rocailleux et monocorde.

Plus ou moins situé au milieu de l’édifice, un petit bonhomme à la voix chevrotante, qui part facilement dans les aigus, semble implorer dans un mélange italo/hispanique où l’on perçoit que le sanglot n’est jamais bien loin.

Dans l’ombre au fond du bâtiment, c’est un groupe de jeunes hommes qui est là. L’habit n’est pas franchement protocolaire, et les cliquetis des pas portent à croire que les chaussures sont ferrées. Peut être un groupe de danseurs de claquettes… Va savoir. 

Alors là, on serait pleinement sur du Broadway, du coup !!! 

… Mais je m’égare…

Un septuagénaire encagoulé remonte l’allée de la basilique. Il semble tendre l’oreille discrètement tout en ralentissant le pas, à chaque fois qu’il parvient au niveau d’un fidèle.

Arrivant à hauteur du colosse, il peut entendre : 

« 140 kilomètres, faîtes que l’on arrive à 140 kilomètres par match. Pour vous, ce n’est pas un voeu difficile à exaucer, et pour moi ce serait énorme, l’apogée de ma saison. Un cap dans ma carrière. » (Les traductions sont assurées par Google trad., je le spécifie sinon je ne touche pas mes royalties.)

Une voix cristalline, irréelle, à peine perceptible (mais avec un pétard qué accent marseillais) répond : 

« Mon bon Monsieur, ici, depuis bientôt 125 ans, c’est pour le football que l’on vient me voir. Comme j’y capte nibe, je fais ce que je peux. Dès fois ça marche, dès fois ça part en sucette, c’est vrai… 

Mais pour l’athlétisme, c’est la première fois. Du coup… Je sais pas trop quoi vous dire. 

En tout cas je ne peux rien vous promettre.

Une fois, y’a un gars qui venait de la Réunion qui m’a demandé presque la même chose, et ça a foiré. Mais je crois savoir qu’il s’est mis QUE sur le ballon, et qu’au final ça a fait l’affaire. Comme quoi… Songez y, peut être, non ? Faites une moyenne, quoi…! »

À ces mots, l’homme baisse la tête. Il semble abattu.

Son regard croise celui du vieil homme dans l’allée. Une incompréhension mutuelle les traverse et les unit. Celle qui caractérise ceux qui ne savent plus comment ils en sont arrivés là.

Nous sommes désormais au niveau de l’éphèbe moustachu. Pour lui aussi, l’élocution trahie un sentiment d’urgence, voir même de désarroi :

« C’est pas juste ce que vous m’avez fait. Avec tout le respect, c’est pas juste… Bon, pour le précédent, faire mine de ne rien lui accorder pour le faire partir, j’avoue que c’était une bonne idée. Mais me coller un autre monomaniaque en guise de remplaçant, franchement… J’en viens à douter de votre supposée bonté. On voit bien que c’est pas vous qui avez des comptes à rendre à l’autre là, le grand manitou des Amériques. 

Vous savez qu’il n’a toujours pas compris pourquoi il n’y a qu’un seul joueur ganté ? Et que même il a fallu lui expliquer pourquoi le gonz en a deux, « alors qu’on ne réceptionne qu’à une main…!? » C’est pas facile tout les jours, croyez-moi. » Conclut-il au bord des larmes.

Le vieil homme dans l’allée s’étrangle. Il toussote. Il semble avoir du mal à avaler quelque chose… Mais quoi ?

« La voix » (du Sud en l’occurrence) ne tarde pas à répliquer à ces reproches à peine voilés. Et on sent bien que l’engatse est en train de lui monter :

« Dis moi, Ninou ! Tu sais où t’y as mal !? Un coup tu veux un prof de ballon/possession/ballon/possession/ballon/possession… Ballon… Possession… 

Moi, bien gentille, je t’en trouve un. T’as l’air tout content avec. Tout tes amis en bleu et blanc viennent me remercier et tout, et tout. Magnifique, tout va bien. Et sur ce badaboum : « Y faut me le changer ! Y’a mon copain qui m’a dit qu’il était plus bon. J’en veux un qui fait courir/courir/courir et courir ! » 

Hé ! Ho ! Dis moi ! M’a gonflati !!! Tu fais avec ce que tu as, compris !? 

Tu vas aller à la Commanderie lui expliquer ce qu’il faut changer. Ok ? Alors, tu te tiens à 30 mètres minimum. Le porte voix qui va bien… Ton pote dans la voiture, moteur en route… Et tu enregistres le tout, surtout. (C’est pour les prud’hommes ou la police, on sait jamais.) »

Au bord de l’effondrement, le stoquefiche à mocassins quitte les lieux, non sans se prendre un bon coup d’épaule au passage de la part du combo toux et cagoule.

Celui-là même qui en arrivant aux bout de l’allée découvrent qu’il avait confondu claquettes et crampons tout à l’heure. Il s’agit bien d’une équipe de football au grand complet qui se recueille, en un conglomérat de langues et d’accents que seule l’inquiétude semble fédérer. Dans le brouhaha, il ne distingue que des morceaux de phrases :

« Je ne suis pas un milieu offensif. » « Pourquoi je joue pas moi ? » « Je voudrais bien deux, trois ballons par match. Deux, trois, c’est pas beaucoup… » « Pourtant il le sait que je vais faire des cagades. » « Fatiguéééé… » « Un demi s’il vous plaît ! » « C’est obligé le ballon au milieu, là ? Non, mais je dis ça parce que ça complique vachement le truc, en fait… »

« La voix » n’est plus du tout cristalline. Garou et Joe Cocker semblent avoir fusionné pour emprunter un phrasé pagnolesque :

« Oh mais vous allez tous vous y mettre aujourd’hui !!! Mais qu’est-ce que je vous ai fait !?

Et toi là bas, avec la cagoule. Oui toi ! Ne fait pas l’innocent. Tu crois que je l’ai pas compris ton manège depuis tout à l’heure ? Tu fais les cent pas de longue, et vas y un coup en large, puis un coup en travers… Tu mesures en fait. Hein ? C’est ça !? 

Tu crois peut être que tu vas racheter le bouclard à prix cassé, pour en faire des bureaux ! Non mais je rêve… »

« Vous seriez vendeuse ? » tente le vieil encagoulé. « Qu’entendez vous par prix cassé ? En dollars, s’entend… »

« Allez, c’est bon… Vous m’avez tous gonflé. » peste Garoucocker. « Cassez vous ! ça escampe fissa sinon je vous file le budget et les salaires d’Ajaccio pour les dix prochaines années, vous allez comprendre votre douleur ! »

Effrayés par l’horrible perspective, tout ce petit monde se retrouve sur le parvis de la Bonne Mère. Piteux et hagards, ceux la se promettent qu’à l’avenir ils donneront le meilleur d’eux-mêmes, qu’ils seront à jamais solidaires et que le jeu redeviendra une valeur cardinale. 

Le miracle avait opéré. La patronne des lieux avait simplement rappelé à chacun que personne ne peut se placer au dessus du club Olympien, ou s’en servir, pour satisfaire une marotte personnelle.

Conte de Pâques, aux éditions « J’en peux plus de ce club » fournée 2023.

(En fait je dis que j’en peux plus, mais c’est pas vrai, hein…)

Publié par Lanceur d'alerte

Addicte à l'OM depuis le 23/02/75, j'avais 9 ans. Un dimanche, me sachant passionné de ballon rond, un voisin propose à mes parents de m'amener au Vél, d'aller à l'OM. 3 à 1 pour l'OM. 32.000 personnes dans le stade. Jaïrzinho et Paulo César en feu... Voila !

7 commentaires sur « Quand on ne sait plus à quel saint se vouer… »

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