Soif de l’OM

20h45, un soir de novembre. En dépit du froid, de la pluie, un petit homme entre dans le bar qu’il fréquente tous les week-ends depuis plusieurs années. Tellement d’années qu’il ne sait même plus les compter. « Tout a changé ici, sauf moi » se dit-il en posant son anorak mouillé sur la chaise, et en regardant les autres clients avec humilité.

« Je n’ai pas changé, mais j’ai quand même vieilli! » , et il sourit. Autrefois, il se mêlait aux autres, quand ce n’étaient pas les autres qui se bousculaient pour s’asseoir à sa table. Mélancolie du temps qui passe: c’etait le temps d’avant. Il se reconnaît en ses jeunes assis juste derrière, et en leurs grands et bruyants éclats de rire. Mais il ne reconnaît que son reflet, finalement; un proche parent, un lointain souvenir de ce qu’il fut, également. « Le temps est une saloperie faite pour enrichir les Suisses! » Et il se souvient de l’ancien temps.

Il se souvient des photos de ceux qui étaient devenus ses amis, accrochés sur ce mur, et du tango argentin que le patron gominé aimait passer sur la chaîne hi-fi. Il se levait, au milieu de la foule éméchée, et il se mettait à danser, debout sur la table. Les clients formaient une ronde autour de lui, et applaudissaient son déhanché endiablé et ses pas de paso. Putain, ce qu’il faisait chaud ! Ce n’était même plus des pas, mais des caresses. Et le petit homme sentait l’ivresse lui traverser le corps comme un baiser traverse le cœur. Il harangait le patron:  » J’ai soif de ballon ! Qu on m’en apporte ! Que dans son goulot, il me transporte! »

Maintenant, c est tout juste si on le calcule. Pas même « merci », ou « à demain ». Il vient, il commande, et il attend en observant le monde qui l’entoure. « Vous quoi commander? » lui demande de manière abrupte le serveur qui fait semblant de ne jamais le reconnaître. Et le petit homme sourit avec malice, et se prend au jeu. « Je peux voir la carte? »lui demande-t-il, alors qu’il boit toujours la même chose depuis qu’il a fini son adolescence.

L’autre souffle pour lui signifier sa mauvaise humeur. « Être roi de ses humeurs, c’est le privilège des grands animaux ! » pense notre petit vieux, et il se perd dans la carte, et dans ses pensées. Que voudrait-il commander? L’argent, la gloire? Il en a déjà eu plus que ce qu’il pourrait dépenser. Une seconde jeunesse, comme tout un chacun? Il n’y a pas un seul de ses choix qu’il pourrait renier, et ne voudrait vivre aucune autre vie que la sienne. « Il n’y a rien que je voudrais faire autrement ! »

Mais si la chance avait pu l’accompagner encore davantage! Si André n’avait pas touché le poteau… Si Valére avait cadré… Si lui même ne s’était pas blessé. Il aurait tellement aimé participer, lui aussi , au défilé, et partager sa joie avec tout un peuple. Il se serait tenu debout sur le bus, et se frappant le torse avec force, il se dit:  » J’ai soif de victoires ! Qu’on m’en apporte ! Que dans leur goulot, elles me transportent! »

Il commence à ressentir des fourmis dans les jambes. Les jeunes, derrière lui, continuent de s’amuser, et il se demande quand reviendra son tour. Il se tient prêt. Motivé comme jamais à prouver qu’il peut encore faire tourner les têtes et danser avec le ballon comme on caresse un(e) être aimé(e).

C’est le moment où le serveur lui apporte enfin sa commande. Il trempe les lèvres et avale le tout cul-sec pour se rafraîchir le gosier. « Que l’on me donne une seule occasion et je ne lâcherai pas la piste! Je n’abandonnerai pas le terrain »

Et depuis, il ne pense qu’à lui, sous le regard des autres. Et depuis, il ne pense qu’à lui, et dans son cœur, le manque se vautre. Et chaque match, il entend tout haut ce petit refrain qui cogne à sa porte:  » J’ai soif de l’OM ! Qu’on m’en emporte ! Que dans un grand tourbillon, il me transporte! Que dans un grand tourbillon, il me transporte ! Que dans un grand tourbillon, il me transporte ! »

Et le petit homme a si bien été transporté, qu’il nous a offert hier deux passes decisives quand les circonstances lui ont permis de rentrer sur le terrain. Et la victoire au bout d’un match haletant.

Merci Dimitri

Et de tendres pensées pour Amine

Allez l’OM💙🤍

4 commentaires sur « Soif de l’OM »

  1. Magnifique… Mais tu as oublié de dire qu’il s’était assis sur deux chaises et qu’il avait commandé un américain, deux royal-cheese et 3 portions de frites sauce barbecue… Et une banana-split en dessert (et oui Igor)… 😂😂😂

    Aimé par 3 personnes

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